27 février 2017
Sur les traces de Louise Michel
avaient convié le public aixois, à revenir sur les traces de Louise Michel. Dans un après-midi de réflexion organisé en deux temps forts, environs trois-cents personnes ont répondu à cet appel : *Le premier, avec la Compagnie théâtrale « Louise Michel » et l’excellente comédienne Gisèle Martinez, qui interprétait Louise Michel dans la pièce « Calamity Louise ». *Le deuxième, avec Mme Michèle Riot-Sarcey, professeur émérite d’Histoire du Féminisme et des Révolutions à l’Université Paris VIII St Denis, instigatrice d’une conférence-débat où ont circulé des idées innovantes et émancipatrices surgies au cours des expériences ouvrières des révolutions sociales qu’elle a étudiées et qu’elle analyse dans son dernier ouvrage, « Le procès de la Liberté » aux éditions La Découverte, qui a obtenu le Prix Pétrarque de l’Essai de France Culture–Le Monde 2016.
1. La pièce « Calamity Louise », illustrée et jouée avec brio, par la comédienne Gisèle Martinez dans un one-woman-show éblouissant, décrypte la vie tumultueuse et riche d’expériences révolutionnaires de Louise Michel 1830-1905. Une biographie vivante, enlevée, émaillée de révoltes, de réflexions et de grands moments de solitude dans les bagnes de la France coloniale en Algérie, à Cayenne et en Nouvelle Calédonie, où Louise Michel fut détenue de longues années, à l’écart du monde. Là, Louise Michel a mis à profit le silence pour construite et décrire de ses analyses époustouflantes, la Liberté, la République, la Démocratie et la Citoyenneté. Elle se penche ainsi sur le triptyque Liberté - Égalité - Fraternité, en définit les contours révolutionnaires, en fixe les bases philosophiques et préfigure par l’égalité hommes-femmes qu’elle propose, la modernité des mouvements féministes dont l’écho émancipateur viendra bousculer les mentalités-mêmes de l’avant-garde des plus illustres écrivains et penseurs de son temps et aussi du nôtre.
2. La conférence de Madame Michèle Riot-Sarcey, professeur émérite d’Histoire, spécialiste du Féminisme et des Révolutions 1789, 1830, 1848, 1871 Commune de Paris, à l’Université Paris VIII de St Denis, a été particulièrement claire dans son exposé, quand elle revient sur l’étude des concepts du triptyque républicain cher à Louise Michel. Elle affirme sans détours, que très peu de scientifiques, d’intellectuels, d’écrivains du monde des Lumières à nos jours, ont daigné s’exprimer sur le sujet. Personne n’était allé aussi loin dans la recherche de solutions à l’émancipation féminine, en vue de produire une réalité législative en faveur de l’Égalité des Sexes dans la Constitution française, que Louise Michel et ses pétroleuses de La Commune de Paris ont défendu parfois, au péril de leurs vies, de l’exil ou de l’enfermement, en posant les fondements progressistes de l’égalité des sexes, accompagnées par les rares hommes philosophes : Condorcet 1743-1794, Rousseau 1712-1798 et Karl Marx 1818-1883. Ce dernier s’illustre par l’étude précise des mécanismes de l’aliénation et de l’esclavagisme, révélant le caractère offensif et destructeurs de l’exploitation de l’Homme par l’Homme et celui de la Femme par l’Homme, tous induits et largement valorisés par les systèmes colonial et néocolonial européens, coalisés contre l’autodétermination et l’émancipation des peuples. Une lutte sans merci s’engage contre le choc de l’éveil des Consciences en voie de décolonisation. L’étude des rapports de force entre classes sociales, reprise plus tard par le célèbre psychiatre et essayiste Frantz Fanon 1925-1961, dans son dernier livre « Les Damnés de la Terre » où il rejoint Karl Marx, met en lumière sous un jour évident, le parallèle entre les dégâts de la colonisation causés aux peuples colonisés du Moyen-Orient et l’usage de l’aliénation au travail sur la classe ouvrière française solidaire de ces peuples dans nos sociétés néocoloniales européennes, osant, jusqu’au paradigme épistémologique, la naissance des Printemps Arabes débutée en 2011. En un clin d’œil, après le développement de cette piste audacieuse, plus un seul livre de son dernier ouvrage « Le Procès de la Liberté » n’a subsisté dans le rayon du stand de la Librairie Goulard d’Aix, partenaire de l’évènement. L’historienne a poursuivi, en insistant sur le rapport frustrant que dénonçait déjà Louise Michel, entre le temps de travail de l’exploité et son temps libre. Elle approche avec une remarquable habileté, l’élaboration précoce de la définition de la Liberté citoyenne individuelle, impossible à embrasser hors du concept collectif. Elle dénonce les efforts de l’ultra libéralisme économique ; qui plaide pour une exploitation féroce, un temps de loisir toujours plus court et insuffisant pour s’instruire, se cultiver, et elle établit un parallèle non surprenant, mais peu dénoncé, entre la condition des exploités et le nombre croissant de chômeurs, la masse de plus en plus faible de syndiqués de ceux qui travaillent trop et souffrent de « burn out », ceux qui n’ont pas le temps de se révolter, de se défendre et de tisser des rapports fraternels de classe, comme a tenté de l’amorcer « Nuits debout » pour formuler le mal-être de l’aliénation moderne au travail de notre société consumériste. Elle montre, en un tour de main, que la parité n’est, pour elle, qu’un honteux et fallacieux prétexte inventé par les valets soumis à la Finance pour écarter l’égalité des salaires Hommes-Femmes, justement revendiquée, surtout par les femmes et trop peu par les hommes, depuis la Révolution de française de1789. Ensuite, elle dresse un portrait sans concession, des saisissantes ambitions d’une société soi-disant libre, sans classes, sans droite ni gauche, avide d’argent, où il serait donné à tout le monde, de s’enrichir grâce à la libre-entreprise, au triomphe du concept des auto-entrepreneurs, à la tendance à l’Ubérisation. Ceux qui prônent l’austérité pour les travailleurs, au nom du consensus économique en faveur de la Croissance et de la création d’un nouveau style d’emplois, sont les mêmes qui servent les intérêts des grands groupes financiers au détriment des acquis de 1936, du CNR - Conseil National de la Résistance - et de toutes les avancées syndicales appuyées sur l’histoire de nos révolutions réprimées dans le sang. Ceux qui nous proposent, en réalité, des gouvernances esclavagistes, Macron compris, sont unis et impliqués dans un projet pervers de société, prête à détruire, par tous les moyens, les outils de défense forgée de toute pièce par les luttes opiniâtres des travailleurs. Ils rêvent d’un Code du Travail - Loi El Khomri initiée par E. Macron, alors ministre de l’Économie - qui débarrasse l’Entreprise de ses instances de justice prud’homale, de ses commissions CHSCT – Commission d’Hygiène, Sécurité et des Conditions de Travail - de ses instances consultatives démocratiques que sont les élus du Comité d’Entreprise et les représentants du personnel. Ils ouvrent le front de l’Ubérisation de la libre entreprise sans protection sociale, ni garde-fous vers une économie collaborative, dépouillée des acquis syndicaux grâce à la mutualisation de la gestion administrative et de l’utilisation à outrance, des nouvelles technologies. La généralisation du haut débit, de l’internet mobile, des smartphones et de la géolocalisation présentent, à plus d’un titre, bien des dangers pour la liberté citoyenne, à l’opposé du monde du travail fixé et réglementé par les acquis du salariat du XXe siècle. La brillante conférencière nous donne des réponses si pertinentes que ses silences en deviennent lourds… Et dans un débat interactif avec la salle, on comprend dans quel bourbier nous sommes empêtrés, en 2017, à la veille des élections présidentielles… Une situation comparable, par bien des aspects à 1848. La question que tout le monde brûle de poser, mais que personne n’ose :
« Alors, c’est pour quand la prochaine Révolution, Madame Michèle Riot-Sarcey ? »
Marseille, le 26 février 2017, Monique Espinar
03 février 2017
Le terrorisme islamiste et le terrorisme d'extrême droite sont les deux faces d'une même pièce, celle des identitaires
Face au totalitarisme islamiste, face à la résurgence de la violence d'extrême-droite, nous devons incarner le monde libre, celui qui croit en l'universalisme de certains principes.
Oui, le
crime commis à Quebec, dimanche soir, envers des musulmans réunis
tranquillement à la mosquée pour prier est un acte terroriste.
Oui, comme
tout acte terroriste, il est l'oeuvre d'une haine, souvent elle-même fruit de
la cristallisation de fantasmes nourris envers une communauté, un groupe.
Et si cet attentat
entre en résonance avec le "Muslim ban" de Donald Trump, c'est parce qu'il en
est le produit.
D'un côté de
la frontière nord-américaine, l'homme le plus puissant du monde interdit de
territoire des musulmans de 7 pays, afin de lutter contre le terrorisme. Or,
l'Arabie saoudite et l'Égypte, pourtant pas franchement neutres en la matière,
en sont exclues. Il semble donc que cette décision soit plus motivée par le
désir de flatter les bas instincts de ses électeurs que par un quelconque souci
d'efficacité. La mise en scène de cette décision et son application au mépris
du droit, témoigne du retour à une vision de la politique comme tribale et
archaïque, où le pouvoir s'exprime plus dans les caprices et la volonté de
puissance d'un individu, que comme une responsabilité qui vous dépasse, vous
engage mais aussi vous lie. En démocratie, le président est le garant des
institutions, pas celui qui acquiert le droit de les bafouer. Avec le "Muslim ban" et son comportement d'adolescent
incapable de supporter la moindre frustration, il a désigné une cible, non
l'islamisme radical comme idéologie, mais les musulmans en tant que personnes.
Ce faisant, il amène des personnes fragiles à se lâcher, car le fait de se
sentir soutenu en haut lieu, légitime les dérapages verbaux et provoque les
passages à l'acte. L'absence de tenue et le comportement régressif du dirigeant
de la première puissance mondiale montrent ce que le populisme au pouvoir
provoque : une vision reptilienne de la politique qui exacerbe les tensions et
justifie toutes les pulsions.
Sans compter
qu'aujourd'hui, les actes terroristes sont rarement commis par des étrangers
mais souvent par des personnes nées ou présentes dans le pays depuis des
années. Les auteurs de l'attentat contre le marathon de Boston en 2013, étaient
arrivés sur le territoire américain respectivement à 7 et 14 ans et y
résidaient légalement. Celui de l'attentat d'Orlando, dans la boîte de nuit
gay, était né à New-York...
De l'autre
côté de la frontière, un "nerd" (entendez une sorte d'asocial solitaire
nourri de théories farfelues) un peu plus paumé que les autres, dont les
modèles politiques étaient justement Donald Trump et Marine Le Pen, est passé à
l'acte et a tué. On saura peut-être un jour comment un citoyen plutôt ordinaire
décide d'aller commettre un massacre parmi d'autres citoyens ordinaires, tout
comme lui, dont les seuls crimes sont d'être musulmans.
C'est ainsi
que le puissant et le misérable, le Président et l'associal se retrouvent liés
dans la haine mais aussi dans l'imbécilité.
En quoi la
mesure prise par Trump freinera les ardeurs éventuelles de nombre de convertis
aux patronymes européens ou anglo-saxons, embrigadés par l'islamisme radical ?
Cette humiliation envers les ressortissants étrangers visés est
contre-productive et risque surtout d'accrocher une cible dans le dos des
citoyens américains...
En quoi
assassiner des musulmans permet de lutter contre le terrorisme islamiste? En
France, après les attentats que nous avons subis, les actes anti-musulmans ont
rapidement augmenté, mais heureusement, jamais ils n'ont atteint le degré
d'horreur qu'a connu Montréal dimanche dernier. D'ailleurs, si l'on en croit
les dernières statistiques, ils sont aujourd'hui en décrue. C'est donc plutôt
l'exceptionnelle tenue du peuple français qu'il faut saluer en la matière.
Mais si
demain, la fachosphère nourrissait la mauvaise idée de suivre l'exemple du
tueur canadien, elle ne ferait que servir les intérêts des officines
communautaristes comme le CCIF, l'UOIF ou le PIR. Drapées dans la lutte contre
l'"islamophobie", celles-ci n'ont de cesse, sous couvert de
dénonciations d'actes antimusulmans (ce qui est légitime), de faire taire toute
critique supposée de l'islam (ce qui ne l'est plus). Au prétexte que de tels
actes seraient la conséquence du racisme latent de nos sociétés, ils nient la
violence de leur propre idéologie, les massacres, les violences et les
affrontements que leur volonté de pouvoir et leur impérialisme déchaînent
partout dans le monde. Ils cherchent ainsi les causes du rejet dans la nature
même des sociétés qu'ils attaquent, plutôt que dans leur propre volonté
d'assimiler pratique de l'Islam et adhésion à une idéologie totalitaire
politico-religieuse. Par extension, la laïcité étant une loi raciste à leurs
yeux, elle est aussi désignée comme la source des violences antimusulmanes. La
boucle est ainsi bouclée: la laïcité stigmatise les musulmans, il faut donc
abolir cette loi.
L'attentat
contre la mosquée de Montréal nous démontre tout le contraire. Il a eu lieu aux
pays des "accommodements raisonnables", au sein d'une société qui a
accepté d'incessantes revendications séparatistes au nom de la religion et qui
a épousé le multiculturalisme au point de ne plus se définir que par une
tolérance qui confine à la négation de soi. Cette politique est à l'opposé de
la laïcité à la française. Et pourtant, elle n'a pas pu empêcher le drame
canadien. Voilà qui devrait donner à réfléchir aux idiots utiles de
l'islamisme!
Car en
réalité, terrorisme islamiste, terrorisme d'extrême-droite sont les deux faces
d'une même pièce: celle des identitaires. Des esprits étroits incapables de
penser le monde au-delà de leur personne, leur famille ou leur clan. Ceux-là
mêmes qui confondent identité et consanguinité, ceux qui séparant l'humanité en
deux: "eux et les autres" et aspirent à soumettre ou éradiquer cette
autre moitié.
La haine et
l'imbécilité n'ont pas de frontières ni géographiques, ni idéologiques. 6
personnes l'ont payé de leur vie, 5 luttent encore contre la mort, des familles
sont dévastées et toute une communauté se sent menacée. Et il y aura d'autres
drames et d'autres morts encore si nous ne tenons pas cette ligne de crête:
face au totalitarisme islamiste, face à la résurgence de la violence
d'extrême-droite, nous devons incarner le monde libre, celui qui croit en
l'universalisme de certains principes.
C'est en
cela que la laïcité n'est pas seulement une particularité française, mais un
outil formidable d'émancipation des hommes et de souveraineté du peuple.
Permettre à l'individu de pratiquer la religion de son choix, de croire, de ne
pas croire ou de changer de religion, c'est lui donner aussi les moyens de
sortir d'une assignation identitaire, voire d'une assignation sociale ou
sexuelle. Sans liberté de conscience, le droit à disposer de son corps, de
choisir son orientation sexuelle n'auraient jamais été acquis. Qu'il soit
islamiste ou d'extrême-droite, c'est aussi à ce patrimoine de conquêtes
sociales et culturelles que les tueurs s'attaquent.