Y aurait-il un parallèle entre la situation des migrants et des bénévoles de Calais et celle des Juifs et des Justes d’hier, sous Vichy et l’occupation nazie ? La controverse oppose le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, Eric Besson, au cinéaste Philippe Lioret à propos de son film, Welcome. Comme si l’indignité avait commencé en 1943… L’Histoire n’est pas un catalogue d’événements indépendants les uns des autres, où les démagogues piqueraient des démonstrations selon l’air du temps. N’empêche, si aujourd’hui en France il y a une résonance entre le sort des migrants et un épisode du passé, c’est plutôt la IIIe République et sa politique xénophobe qu’il conviendrait de pointer, puisqu’elle prépara un terrain favorable aux camps d’internement de l’Etat français de Vichy. Bien avant Pétain, rastaquouères, Juifs ou non, étrangers, persona non grata étaient tracassés, harcelés par les préfets de France la doulce (roman de Paul Morand, 1934). Toujours privée d’âme, l’administration appliquait alors les règlements et les circulaires du gouvernement Daladier.
De
l’hiver 1938 au printemps 1939, c’est bien un cabinet radical-socialiste qui
imagina ce que la République allait qualifier « lieux de séjour
surveillé », « lieux d’hébergement », de
« rassemblement », d’« internement », « camps de prestataires » et
« camps de transit », selon les
subtilités bureaucratiques des fonctionnaires.
Agde,
Argelès, Bram, le Barcarès, Rivesaltes, Saint-Cyprien et Septfonds… Dans ces camps du Sud, la République
enferma des êtres dans d’immenses
champs de baraques sordides et d’immondices. Ils étaient des centaines de milles, républicains
espagnols, combattants comme civils, qui avaient échappé à l’oppression
franquiste. Des centaines de milliers
d’autres réfugiés avaient choisi la patrie des droits de l’homme,
puisqu’ils avaient décidé de se mettre hors d’atteinte des dictateurs à fronts de
bœufs, des gauleiters
national-socialistes. Il fallait bien, rétorquaient alors les fonctionnaires
républicains, trouver des solutions devant un tel
afflux d’exilés et de réfugiés.
Alors, des femmes, des hommes, anonymes, maîtres
d’écoles, conseillers municipaux, ouvrirent leurs portes, offrirent un gîte et
un peu de sécurité aux exilés. De simples individus, qui, sans discours, sans
idéologie, hors du religieux et du social, considéraient qu’un humain était
digne de la seule vertu d’être un homme, simplement. Comme aujourd’hui à Calais
et ailleurs. C’était un temps de rumeurs, de menaces de guerre.
De
septembre 1939 à mai 1940, la même République, conduite par le démocrate
républicain Paul Reynaud, inaugurait des camps de Rieucros, le Vernet,
Gurs, les Milles. Des milliers de
« ressortissants » dantzigois, sarrois, apatrides, qualifiés
d’« extrémistes », « susceptibles de troubler la paix sociale ou
de nuire à la Défense nationale », furent alors parqués entre des barbelés. Il s’agissait de
priver des êtres de liberté, non sur la
décision d’un quelconque jugement prononcé par l’autorité de justice, mais en
vertu du règlement aveugle appliqué par une simple autorité administrative…
Maudits préfets ! Gurs « hébergea » ainsi près de dix-neuf mille
« individus » de cinquante-neuf nationalités différentes, des êtres isolés, des familles qualifiées de « gens
sans ressource et sans domicile fixe ». Ceux qui étaient enfermés aux Milles, dans l’ombre de la
montagne Sainte-Victoire, étaient des étrangers en « instance
d’émigration » ou « en attente de visa de sortie »…
Le
3 septembre 1939, le jour de la déclaration de guerre contre les hitlériens, des affiches étaient apposées
aux quatre coins de Paris. Les autorités de la République enjoignaient les
« ressortissants allemands » de se rendre volontairement,
« pourvus d’une couverture », au stade de Colombes, désigné « camp de rassemblement ».
Dans les baraquements, les étrangers devenaient alors « sujets ennemis de
la Patrie ». Parias, gens de rien, intellectuels, artistes, commerçants, médecins,
Autrichiens, Polonais, Hongrois, Allemands, Juifs ou non, beaucoup, dès 1933, avaient déserté la dictature hitlérienne. Un
grand nombre avait trouvé un asile en Provence et dans le Sud, où l’on vit
« heureux comme Dieu en France », disait un dicton de chez eux.
Déjà
les règlements exigeaient : réfugiés comme logeurs devaient déclarer les
contrats de location au préfet, l’autorité républicaine. Privés de la
protection de la loi, nombre d’étrangers en délicatesse avec les circulaires et
les règlements aveugles, se gardaient bien de franchir le seuil des hôtels de ville, assurés
d’en ressortir ficelés. Alors, des hors-la-loi, des femmes et des hommes insoumis, ouvrirent
leurs portes, tout simplement.
Anne Vallaeys, écrivaine