Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Mes Amis,
Il y a 70 ans jour pour jour, le 18 avril 1940, à l’aube, des dizaines, des
centaines de silhouettes d’hommes portant des valises avançaient sur la route
venant de la gare de Lambesc pour se rendre ici dans leur nouveau camp
d’internement.
On les avait réveillé en pleine nuit au camp des Milles d’où on les transférait
encadrés par une centaines de militaires français.
Ils s’appelaient Fritz, Otto, Guillaume, Salomon, Robert, Klaus, Georges
,Henri………..
Ils étaient agriculteurs, ouvriers, commerçants, enseignants, artistes…
Certains croyaient au ciel, d’autres n’y croyaient pas.
La plupart d’entre eux travaillaient, étaient intégrés à la vie économique française.
Le plus connu était Henry Gowa, peintre renommé, ami de Picasso.
Ils étaient 343 étrangers, allemands, autrichiens, tchèques, ayant fui la
dictature hitlérienne dès 1933 pour se réfugier en France le « pays des Droits
de l’Homme ».
Ils ont été transférés du camp des Milles fermé provisoirement vers Lambesc.
Lambesc n’a pas été un camp de transit vers les camps de déportation mais nous
savons que 29 d’entre eux ont été déportés entre 1942 et 1944 à partir des
camps des Milles et de Gurs.
« Gurs, une drôle de syllabe, comme un sanglot qui ne sort pas de la
gorge. »
disait Louis Aragon
Pourquoi ces hommes ont été internés ?
Le 3 sept 1939, à la déclaration de guerre contre l’Allemagne nazie, le
gouvernement Daladier décrète que les « ressortissants ennemis en guerre contre
la France » doivent être internés sans chercher à comprendre s’ils étaient pro
ou anti-nazis.
La France était en guerre contre Hitler, c’est vrai,
mais ceux qui ont été arrêtés par la police française puis internés en 1940 dans
les dernières années de la Troisième République, sous le gouvernement de Paul
Reynaud, bien avant Vichy, étaient pour la plupart des anti-nazis ( militants
communistes, socialistes, juifs ) originaires d’Allemagne, d’Autriche ou de
Tchéquie qu’ils avaient fui dès l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933
Par radio, affiches et voie de presse les hommes de 17 à 65 ans,
"nationaux de l'empire allemand", étaient appelés à se présenter dans
des centres de regroupement, s’ils ne le faisaient pas, souvent leurs voisins y
pensaient pour eux.
Les hommes furent répartis dans des camps d’internement comme celui de la
Tuilerie des Milles, les femmes étaient assignées à résidence à Aubagne puis à
l’hôtel Terminus des Ports à Marseille.
La totalité de leurs biens furent confisqués par l’Etat.
Il est intolérable que l’on ait interné arbitrairement et dépouillé des hommes,
des femmes et des enfants qui avaient fui les persécutions de la dictature
hitlérienne alors que le pays des Droits de l’Homme aurait dû les protéger?
En 1994, apprenant l’existence, sur le sol français, de dizaines de camps
d’internement comme celui de Lambesc, 1939 début 1940, nous avons jugé
indispensable et nécessaire, pour le respect de la Mémoire collective, mais
aussi pour que cela ne se reproduise plus, que ceux qui y ont été internés ne
tombent dans l’oubli.
En 1995 notre association fidèle à ses actions pour perpétuer la mémoire a
voulu que cette épisode de l’histoire lambescaine soit gravée dans la pierre
pour les générations futures.
En 2009 notre proposition a été favorablement accueillie par la municipalité de
Lambesc que je tiens ici à remercier en notre nom mais surtout au nom de ceux
qui ont souffert ici en 1940 dans leur dignité d’homme.
Il y a un an, nous avons constitué un comité consultatif comprenant Robert
Menchérini, historien, professeur d’université, Claire Lutrin, professeur
d’histoire, Pierre Gazhanes, Président du Musée du Vieux Lambesc, Jean-Michel
Carretero 1er adjoint et moi-même.
Claire Lutrin, après des recherches minutieuses, depuis 1997
auprès des archives départementales a publié un dossier important sur le camp
de Lambesc.
Merci Claire pour ce travail dans lequel on peut lire :
« Je me suis fait le témoin muet de ces morceaux d’existence. J’ai lu ces
lettres, ces noms, ces listes. Au milieu de ces vieux papiers que l’on sent
pleins de larmes, de douleurs et de froideur administrative, j’ai trouvé des
noms, ceux de quelques gardiens et de 343 détenus dont le passage au camp de
Lambesc entre avril et juin 1940 est attesté. »
Et en conclusion elle écrit :
« Le crime n’est pas d’avoir accueilli le camp. Le crime serait d’en
taire le souvenir, d’en dénier l’existence, il serait de condamner à une mort
définitive ceux qui y ont été internés.
L’oubli est la pire des morts. A travers notre mémoire ils vivent encore… »
Oui comme disait Paul Eluard
« Si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons »
C’est les raisons et l’existence de ce camp d’internement que la mémoire
collective ne doit oublier.
Notre ambition au travers de cette Stèle-Mémorial est de renforcer la vigilance
et la responsabilité des citoyens face aux résurgences et aux menaces
récurrentes du racisme, de l’antisémitisme et de l’intolérance sous toutes ses
formes.
Aujourd’hui, 65 ans après la capitulation nazie, les crimes racistes, la
xénophobie et les idées d’extrême-droite progressent dangereusement à travers
l’Europe notamment en Italie, en France, en Belgique, aux Pays-Bas et récemment
en Hongrie et en Autriche.
On sème impunément la haine.
On banalise les propos racistes.
On débaptise les rues au nom de Déportés ou Résistants
De la parole aux actes, le pas est vite franchi.
Il est intolérable et inquiétant que certains acceptent plus facilement
aujourd’hui ce qu’ils affirment refuser du passé
Il est intolérable, aujourd’hui, que des hommes, des femmes et des enfants
chassés de chez eux par la dictature, la misère, les injustices sociales ou les
persécutions ethniques, religieuses, politiques demandent asile à la France et
soient internés dans des camps de rétention et expulsés vers leurs pays
d’origine sachant le danger qui les attend.
Si on peut se demander où était en 1940 notre devise « Liberté, Egalité,
Fraternité » ?
On peut se demander aujourd’hui la valeur de cette devise pour certains et le
sens qu’ils lui donnent?
Je me souviens d’une parole forte de Léopold Senghor :
« ô seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n’est pas la France, ce
masque de petitesse et de haine sur le visage de la France »
En 1940 si les uns collaboraient ou laissaient faire, certains entraient en
résistance, d’autres, des femmes, des hommes, anonymes, maîtres d’écoles,
conseillers municipaux, ouvrirent leurs portes, offrirent un gîte et un peu de
sécurité aux exilés. De simples individus, qui, sans discours, sans idéologie,
hors du religieux et du social, considéraient qu’un humain était digne de la
seule vertu d’être un homme, ……simplement.
Comme aujourd’hui à Calais et ailleurs, nous devons affirmer bien fort que la
solidarité n’est pas un délit.
Nous n’oublierons jamais ce que des hommes ont fait subir à d’autres hommes.
Engageons-nous à expliquer et expliquer encore les mécanismes qui ont portés au
pouvoir les systèmes totalitaires, les engrenages qui conduisent à l’horreur,
les petites lâchetés, les petits compromis, les petites alliances qui font les
grandes catastrophes.
Certains diront « c’était la loi »
ce qui est légal n’est pas forcément juste, ce qui est juste n’est pas
forcément légal.
Rappelons-nous la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 qui affirmait
déjà :
« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est le
plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs »
C’est ce qu’on fait les Résistants français, notamment à Lambesc, contre l’Etat
de Vichy et l’occupation nazie.
C’est ce qu’on fait les Résistants allemands en Allemagne contre Hitler
C’est ce qu’on fait les milliers de Résistants allemands en France, engagés aux
côtés des Résistants français notamment en Lozère et dans les Cévennes.
C’est ce que nous ferons avec la force et la volonté de nous unir comme l'on
fait nos aînés pour éradiquer les injustices, l'ignorance, les intolérances en
perpétuant une Mémoire responsable.
Rêvons, comme Jean Ferrat, d’une France ouverte « au delà des
frontières, aux peuples étrangers », d’un France accueillante, mélangée,
fraternelle, solidaire.
Je terminerais par une citation de Vercors
« Quand la mémoire faiblit, quand elle commence, comme une fragile
falaise rongée par la mer et le temps à s’effondrer par pans entiers dans les
profondeurs de l’oubli, c’est le moment de
rassembler ce qu’il en reste, ensuite il sera trop tard »