19 avril 2010

Stèle mémorial de Lambesc (13) Allocution de Michel Vial

 Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Mes Amis,

Il y a 70 ans jour pour jour, le 18 avril 1940, à l’aube, des dizaines, des centaines de silhouettes d’hommes portant des valises avançaient sur la route venant de la gare de Lambesc pour se rendre ici dans leur nouveau camp d’internement.
On les avait réveillé en pleine nuit au camp des Milles d’où on les transférait encadrés par une centaines de militaires français.
Ils s’appelaient Fritz, Otto, Guillaume, Salomon, Robert, Klaus, Georges ,Henri………..
Ils étaient agriculteurs, ouvriers, commerçants, enseignants, artistes…
Certains croyaient au ciel, d’autres n’y croyaient pas.
La plupart d’entre eux travaillaient, étaient intégrés à la vie économique française.
Le plus connu était Henry Gowa, peintre renommé, ami de Picasso.
Ils étaient 343 étrangers, allemands, autrichiens, tchèques, ayant fui la dictature hitlérienne dès 1933 pour se réfugier en France le « pays des Droits de l’Homme ».
Ils ont été transférés du camp des Milles fermé provisoirement vers Lambesc.
Lambesc n’a pas été un camp de transit vers les camps de déportation mais nous savons que 29 d’entre eux ont été déportés entre 1942 et 1944 à partir des camps des Milles et de Gurs.

« Gurs, une drôle de syllabe, comme un sanglot qui ne sort pas de la gorge. »
disait Louis Aragon

Pourquoi ces hommes ont été internés ?
Le 3 sept 1939, à la déclaration de guerre contre l’Allemagne nazie, le gouvernement Daladier décrète que les « ressortissants ennemis en guerre contre la France » doivent être internés sans chercher à comprendre s’ils étaient pro ou anti-nazis.
La France était en guerre contre Hitler, c’est vrai,
mais ceux qui ont été arrêtés par la police française puis internés en 1940 dans les dernières années de la Troisième République, sous le gouvernement de Paul Reynaud, bien avant Vichy, étaient pour la plupart des anti-nazis ( militants communistes, socialistes, juifs ) originaires d’Allemagne, d’Autriche ou de Tchéquie qu’ils avaient fui dès l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933
Par radio, affiches et voie de presse les hommes de 17 à 65 ans, "nationaux de l'empire allemand", étaient appelés à se présenter dans des centres de regroupement, s’ils ne le faisaient pas, souvent leurs voisins y pensaient pour eux.
Les hommes furent répartis dans des camps d’internement comme celui de la Tuilerie des Milles, les femmes étaient assignées à résidence à Aubagne puis à l’hôtel Terminus des Ports à Marseille.
La totalité de leurs biens furent confisqués par l’Etat.
Il est intolérable que l’on ait interné arbitrairement et dépouillé des hommes, des femmes et des enfants qui avaient fui les persécutions de la dictature hitlérienne alors que le pays des Droits de l’Homme aurait dû les protéger?

En 1994, apprenant l’existence, sur le sol français, de dizaines de camps d’internement comme celui de Lambesc, 1939 début 1940, nous avons jugé indispensable et nécessaire, pour le respect de la Mémoire collective, mais aussi pour que cela ne se reproduise plus, que ceux qui y ont été internés ne tombent dans l’oubli.
En 1995 notre association fidèle à ses actions pour perpétuer la mémoire a voulu que cette épisode de l’histoire lambescaine soit gravée dans la pierre pour les générations futures.
En 2009 notre proposition a été favorablement accueillie par la municipalité de Lambesc que je tiens ici à remercier en notre nom mais surtout au nom de ceux qui ont souffert ici en 1940 dans leur dignité d’homme.
Il y a un an, nous avons constitué un comité consultatif comprenant Robert Menchérini, historien, professeur d’université, Claire Lutrin, professeur d’histoire, Pierre Gazhanes, Président du Musée du Vieux Lambesc, Jean-Michel Carretero 1er adjoint et moi-même.
Claire Lutrin, après des recherches minutieuses, depuis 1997 auprès des archives départementales a publié un dossier important sur le camp de Lambesc.
Merci Claire pour ce travail dans lequel on peut lire :
« Je me suis fait le témoin muet de ces morceaux d’existence. J’ai lu ces lettres, ces noms, ces listes. Au milieu de ces vieux papiers que l’on sent pleins de larmes, de douleurs et de froideur administrative, j’ai trouvé des noms, ceux de quelques gardiens et de 343 détenus dont le passage au camp de Lambesc entre avril et juin 1940 est attesté. »
Et en conclusion elle écrit :
« Le crime n’est pas d’avoir accueilli le camp. Le crime serait d’en taire le souvenir, d’en dénier l’existence, il serait de condamner à une mort définitive ceux qui y ont été internés.
L’oubli est la pire des morts. A travers notre mémoire ils vivent encore… »


Oui comme disait Paul Eluard
« Si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons »
C’est les raisons et l’existence de ce camp d’internement que la mémoire collective ne doit oublier.
Notre ambition au travers de cette Stèle-Mémorial est de renforcer la vigilance et la responsabilité des citoyens face aux résurgences et aux menaces récurrentes du racisme, de l’antisémitisme et de l’intolérance sous toutes ses formes.
Aujourd’hui, 65 ans après la capitulation nazie, les crimes racistes, la xénophobie et les idées d’extrême-droite progressent dangereusement à travers l’Europe notamment en Italie, en France, en Belgique, aux Pays-Bas et récemment en Hongrie et en Autriche.
On sème impunément la haine.
On banalise les propos racistes.
On débaptise les rues au nom de Déportés ou Résistants
De la parole aux actes, le pas est vite franchi.
Il est intolérable et inquiétant que certains acceptent plus facilement aujourd’hui ce qu’ils affirment refuser du passé
Il est intolérable, aujourd’hui, que des hommes, des femmes et des enfants chassés de chez eux par la dictature, la misère, les injustices sociales ou les persécutions ethniques, religieuses, politiques demandent asile à la France et soient internés dans des camps de rétention et expulsés vers leurs pays d’origine sachant le danger qui les attend.
Si on peut se demander où était en 1940 notre devise « Liberté, Egalité, Fraternité » ?
On peut se demander aujourd’hui la valeur de cette devise pour certains et le sens qu’ils lui donnent?

Je me souviens d’une parole forte de Léopold Senghor :
« ô seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n’est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la France »

En 1940 si les uns collaboraient ou laissaient faire, certains entraient en résistance, d’autres, des femmes, des hommes, anonymes, maîtres d’écoles, conseillers municipaux, ouvrirent leurs portes, offrirent un gîte et un peu de sécurité aux exilés. De simples individus, qui, sans discours, sans idéologie, hors du religieux et du social, considéraient qu’un humain était digne de la seule vertu d’être un homme, ……simplement.
Comme aujourd’hui à Calais et ailleurs, nous devons affirmer bien fort que la solidarité n’est pas un délit.
Nous n’oublierons jamais ce que des hommes ont fait subir à d’autres hommes.
Engageons-nous à expliquer et expliquer encore les mécanismes qui ont portés au pouvoir les systèmes totalitaires, les engrenages qui conduisent à l’horreur, les petites lâchetés, les petits compromis, les petites alliances qui font les grandes catastrophes.
Certains diront « c’était la loi »
ce qui est légal n’est pas forcément juste, ce qui est juste n’est pas forcément légal.
Rappelons-nous la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 qui affirmait déjà :
« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs »
C’est ce qu’on fait les Résistants français, notamment à Lambesc, contre l’Etat de Vichy et l’occupation nazie.
C’est ce qu’on fait les Résistants allemands en Allemagne contre Hitler
C’est ce qu’on fait les milliers de Résistants allemands en France, engagés aux côtés des Résistants français notamment en Lozère et dans les Cévennes.
C’est ce que nous ferons avec la force et la volonté de nous unir comme l'on fait nos aînés pour éradiquer les injustices, l'ignorance, les intolérances en perpétuant une Mémoire responsable.
Rêvons, comme Jean Ferrat, d’une France ouverte « au delà des frontières, aux peuples étrangers », d’un France accueillante, mélangée, fraternelle, solidaire.

Je terminerais par une citation de Vercors
« Quand la mémoire faiblit, quand elle commence, comme une fragile falaise rongée par la mer et le temps à s’effondrer par pans entiers dans les profondeurs de l’oubli, c’est le
moment de rassembler ce qu’il en reste, ensuite il sera trop tard »

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