20 octobre 2013

Le fruit Mordoré l'Alcazar à Marseille

 dans le cadre de 'Marseille 2013  "

Projet initial d'Anna Wexler et Irène Itkine, membres de ''Résister Aujourd'hui''      avec le soutien et l'organisation de notre association   

« L'aliment qui réjouit » Une performance commémorant le Croque-Fruit

 Ce projet est dédié à la mémoire de la coopérative « Le Fruit mordoré » généralement appelée Croque-Fruit. Elle a été créée en 1940 à Marseille près de la Porte d'Aix par Sylvain Itkine, homme de théâtre connu, sa soeur Georgette Gabay, Elio Gabay, Jean Rougeul et Guy d'Hauterive. Jusqu'en 1942, l'année de sa fermeture forcée, l'entreprise a produit une friandise délicieuse, nutritive et pouvant se conserver un certain temps. C'est Lucien Itkine, frère aîné de Sylvain, chimiste, qui en aurait eu l'idée et suggéré la composition : essentiellement des dattes et des amandes broyées, produits venant d'Afrique du Nord et non encore contingentés. Et Lucien a imaginé des recettes pour en varier les saveurs, voire la composition. Les Croque-Fruits, nom officiel de ces bouchées succulentes, ont eu un succès énorme dans cette période de pénurie alimentaire très sévère. Les slogans publicitaires : « l'aliment qui réjouit » et « la friandise qui nourrit », entre autres répondaient plus à un besoin d'une nourriture tout à la fois nourrissante et au goût agréable qu'à un désir de nouveauté.

 « Une utopie qui se concrétisa », comme l'a écrit Alain Paire, Croque-Fruit a fourni des emplois à près de 200 personnes, artistes, intellectuels, juifs que les lois de Vichy ont exclus du travail, réfugiés connus et inconnus. Elle était « l’exemple emblématique » parmi les entreprises qui aidaient les Juifs, d’après l’historienne Renée Dray Bensousan dans son livre précis et documenté, Les Juifs à Marseille (1940-44).ii Les travailleurs étaient aussi partie prenante des décisions. Parmi les plus connus, on peut citer Benjamin Péret, Oscar Dominguez, Jacques Hérold, Sylvia Bataille, Jean Malaquais, Francis Lemarque. Outre la production de friandises, les autorisations commerciales de la coopérative ont permis la circulation de paquets de tracts et le développement de contacts avec le mouvement de résistance Combat.

Après la fermeture du Croque-Fruit avec l'arrivée des Allemands à Marseille en novembre 1942, les frères Itkine ont continué leur courageux engagement à Lyon, où ils faisaient partie d'un réseau de renseignements pour les Mouvements unis de Résistance (MUR), Sylvain étant chef du service sécurité. Tragiquement cette fois, ils ont payé de leur vie – Sylvain, arrêté et torturé jusqu'à la mort par la Gestapo et Lucien raflé et déporté vers Auschwitz-Birkenau puis Mauthausen.

La coopérative était située dans un vieil immeuble, dans une partie de la rue des Treize escaliers détruite après la guerre. Même le fragment de la petite rue qui subsistait est maintenant « rayé de la carte »par la machinerie rénovatrice d'Euro-Méditerranée, comme l'explique un article récent dans La Provence (27 décembre 2010) : « Croque-Fruits, l’aventure oubliée d’une belle utopie ». Pour la tirer de l'oubli de l'Histoire, et en mémoire des frères Itkine et des autres participants, je propose une performance commémorative, si possible près du site d'origine, et qui se tiendrait aussi dans d'autres lieux à trouver. Elle reproduira plus ou moins le processus de production, avec sa division des tâches au sein des équipes. Les artistes collaborateurs enchaîneront les actions – mélanger, couper,  rouler, enrober, empaqueter la friandise. De cette dynamique naît une recréation du Croque-Fruit original.

Un entrelacement de textes lus – des noms de travailleurs de la coopérative, les ingrédients présents dans les recettes, des fragments de témoignages signifiants -ponctuera l'action, comme une incantation alternativement percutante et fluide.

Pour commémorer de façon active le courage et la vision manifestes dans cette utopie concrétisée, les performers vont poser des questions sur ses implications possibles dans notre présent, avec ses chocs et déplacements, conséquences de la globalisation, et devant l'urgence du besoin de modèles coopératifs visant à créer des économies soutenables.

Je suis artiste-performer, poète et professeur d'anthropologie à Boston, Massachusetts, membre du Mobius Artists Group, une association coopérative pour le soutien et le développement des œuvres expérimentales à travers tous les médias artistiques (vous pouvez consulter www.mobius.org/user/24 pour avoir des informations sur les projets que j'ai mis en oeuvre). Avec la participation et la consultation experte d'Irène Itkine, fille de Lucien Itkine nous avons commencé à dresser un plan pour notre projet commémoratif. Nous avons consulté attentivement les archives sur le Croque-Fruit présentes à la Bibliothèque nationale de France, y compris les recettes de Lucien que nous avons tenté de recréer, non sans succès. Nous avons recherché quelques lieux possibles à Marseille pour la performance. Nous avons discuté de notre projet avec d'autres membres de la famille, en premier lieu avec Catherine Itkine-Hénon, fille de Sylvain et aussi avec d'anciens travailleurs du Croque encore en vie. Maintenant nous explorons la possibilité de situer notre performance dans le cadre de Marseille 2013.

 Anna Wexler

Boston le 25 mars, 2013

 

Ce projet a pris forme et cette performance a été programmée et organisée par "Résister Aujourd'hui" les 15 et 19 octobre 2013 à la médiathèque « l’Alcazar de Marseille »

 

Cliquer sur le lien ci-dessous ;

https://www.youtube.com/watch?v=WypXr2jV7sU

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