Lambesc, un jour d'avril 1940. A l'aube, la rumeur naît, court et enfle dans le village : ILS sont là ! ILS sont arrivés ! ILS sont là, à la conserverie ! Les curirent voir cet étrange équipage … Mais qui sont ces hommes ? D'où viennent-ils ? Pourquoi sont-ils là ? Un épisode méconnu de l'Histoire de Lambesc s'ouvre à vous. Êtes-vous prêts à le découvrir ? Oui ? Alors, ouvrez la porte et entrez dans l'Histoire …
- AVANT -
PROPOS -
Je tiens à remercier pour leur coopération les employés, bibliothécaires, archivistes, secrétaires des archives départementales des Bouches-du-Rhône à Marseille. J'adresse des remerciements particuliers à Monsieur Rémy BOUDER, qui m'a aidée à lever bien des obstacles, à M. MARCHOT pour son active coopération, à MM. Robert MENCHERINI et Xavier DAUMALIN pour leur soutien bienveillant, à Mmes Piat et Vaudois et M. Schnorf pour leur précieuse connaissance de l'allemand.
Après
avoir fouillé les archives de la mairie (en vain), interrogé les anciens et
nouveaux propriétaires de l'usine réquisitionnée (en vain), je me suis tournée
vers nos concitoyens témoins de cette période. En vain !
Les
archives départementales représentaient mon dernier espoir de pouvoir amener
des preuves de ce que j'avançais. Après deux années de recherche, dans la
poussière, j'ai trouvé un fil qui me prouve que je n'ai rien inventé et que
l'on ne m'a pas menti, comme je l'ai entendu dire. Il y a bien eu un camp
d'internement de travailleurs étrangers entre le 18 avril et le 15 juin 1940 à Lambesc.
Deux mois seulement. C'est suffisant pour que l'on s'y attarde.
Quelques
uns sont connus. Beaucoup sont anonymes. Difficile de retrouver ce qu'ils sont
devenus.
__-
INTRODUCTION -
La France à la fin des années 1930.
Dans les années 1930, l'Europe connaît une situation politique tendue (montée des fascismes), que renforce la grave crise économique venue des Etats-Unis. Ce contexte pousse de nombreux exilés à se réfugier en France, traditionnelle terre d'accueil des réfugiés politiques. Les opposants aux régimes en place sont les premières victimes des persécutions : antinazis allemands, républicains italiens et espagnols, entre autres.
Dès
les premiers mois de 1933, les juifs et opposants allemands sont plusieurs
milliers à avoir quitté leur pays. 25 000 à 30 000 d'entre eux décident de
s'installer en France. Ce sont en grande partie des hommes jeunes. La plupart
appartiennent à des couches sociales aisées. Certains sont des personnalités
connues, comme l'écrivain Lion Feuchtwanger, le communiste Willi Münzenberg ou
le psychiatre Alfred Döblin.
Les
années 1935-1936 sont marquées par un durcissement des conditions d'entrée en
France. L'entrée légale rendue difficile, l'immigration en provenance du Reich
se fait de façon de plus en plus clandestine, ce qui n'arrange pas la condition
des réfugiés.
Le
Front populaire a pratiqué une politique de tolérance à l'égard des réfugiés.
L'union de la Gauche n'a cependant pas permis aux exilés d'obtenir un statut
particulier leur permettant de travailler dans la légalité.
Le
gouvernement Daladier, formé en avril 1938, vire clairement vers la droite. Le
ministre de l'Intérieur Albert Sarraut prend des mesures strictes de
surveillance des étrangers. Une série de décrets, pris entre mai et novembre
1938, organise la chasse aux clandestins, multiplie les expulsions, complexifie
l'obtention de la nationalité française et rend plus difficile l'application
des droits civiques des "nouveaux" citoyens. La méfiance des Français
vis à vis des étrangers ont permis un écho favorable de ces mesures au sein de
la population.
Première partie : Les conditions d'ouverture du camp de Lambesc.
Lambesc, 1939.
La guerre a donc été déclarée. Lambesc est un petit village de Provence, comme
tant d’autres. Il compte environ 2000 habitants (1913 exactement au dernier
recensement, celui de 1936). Difficile de savoir comment la mobilisation a été
vécue : rien ne transparaît dans les archives municipales. Aucune liste de
mobilisés. Aucune allusion à la guerre dans les décisions du conseil municipal.
On ne peut donc qu’imaginer la peur qui noue les ventres, la tristesse et la
douleur qui étranglent les cœurs. Les mères continuent leur vie au quotidien,
tentant de préserver leurs enfants et adressant des prières émouvantes pour la
sauvegarde des pères, maris ou fils partis sur le front. Le village vit de
l’industrie de la conserve. Il y en a trois sur Lambesc : Gillet, Ours et
Barbier-Dauphin.
D'autres
officiers, sous-officiers et soldats sont présents à Lambesc. J'ai pu trouver
les noms de cinq capitaines, cinq lieutenants, deux aspirants, deux adjudants
de compagnie, un sergent-chef, treize sergents, trois caporaux, et trois
soldats. Un de ces soldats est originaire de Lambesc et y vit alors. Il y a
également un médecin commandant, deux médecins auxiliaires et un médecin aspirant.
Les
militaires appartiennent à deux régiments de réservistes. Le premier est le 4e bataillon du 156e
Régiment Régional de Privas (Ardèche), arrivé aux Milles le 06 septembre
1939. Le second est 4e bataillon du 154e
Régiment Régional avec lequel le capitaine Goruchon est arrivé aux
Milles en septembre 1939.
L'organisation du camp se fait dans l'urgence. Il n'y a pas de casernes pour recevoir tous ces hommes. Les prisonniers casés, il faut s'occuper des gardes. Pas de problèmes : ils n'ont qu'à loger chez l'habitant lorsqu'ils ne sont pas de faction au camp. A Lambesc, Charles Goruchon loge chez Mademoiselle Binet, fille de consul. Le capitaine et son épouse s’entendent tout de suite très bien avec leur logeuse : elle est modiste comme Madame Goruchon. La maison (hôtel d’Arquier, proche de l'église) a deux entrées : celle de Melle Binet donne sur la place Jean-Jaurès ; celle de Charles Goruchon ouvre sur la place du Plan Bedoin. Le mess prend place en face de la mairie, là où se tient aujourd'hui le syndicat d'initiative. Les internés prennent leurs repas à l’usine Barbier-Dauphin, sur l’actuelle place du marché. Certains officiers habitent au couvent Saint-Thomas de Villeneuve. Ce couvent fait aussi fonction d’infirmerie pour les internés. Le camp devient vite sujet de curiosité et de rumeurs !
Deuxième partie : Qui sont les internés ?
André Fontaine parle de quatre cent vingts internés[9]. J'ai voulu connaître leurs noms et leurs histoires. A cette fin, je me suis rendue aux archives départementales de Marseille. J'ai trouvé les noms de trois cent quarante-trois internés dont le passage à Lambesc est écrit noir sur blanc dans les différents papiers que j'ai parcourus. Pour les soixante-dix-sept restants, n'ayant aucune preuve écrite de leur passage sur le site, je ne les prends pas en compte dans l'étude. Je ne les oublie pas, mais je n'ai trouvé dans les archives ni leurs noms, ni aucun autre renseignement.
De
quelle(s) nationalité(s) sont les internés ?
La composition nationale du camp de Lambesc se conforme aux ordonnances dictées par l'Etat. Sur les trois cent quarante-trois internés recensés, trois cent huit sont considérés comme des ressortissants du Reich, à savoir :
-
179 sont de nationalité allemande,
-
128 sont de nationalité autrichienne,
- 1 est de nationalité tchèque.
Sur
les documents administratifs, les Autrichiens sont enregistrés comme étant de
nationalité ex-autrichienne. Depuis 1938 et l'Anschluss, l'Autriche a été rattachée au Reich allemand nazi. Dans
ce cas, l'Etat français a considéré que la nationalité autrichienne n'avait
plus lieu d'être mentionnée en tant que tel. Quant aux Tchèques, ils n'existent
plus depuis le démantèlement de leur pays aux accords de Munich en 1938. Ils
sont ressortissants du Reich par obligation, contrairement aux Autrichiens.
Les trente-cinq internés restants se répartissent comme suit :
-
25 sont de nationalité inconnue,
- 8 sont de nationalité polonaise,
- 1 est de nationalité russe,
-
1 est enregistré comme apatride.
L'internement des Russes s'explique par l’existence
du Pacte germano-soviétique. Quant aux Polonais, on peut penser que beaucoup
ont fui devant l'avancée des troupes allemandes dans les premiers jours de la
guerre.
Les apatrides sont des gens qui n'ont plus de nationalité "par suite d'un défaut de concordance des lois sur les nationalités".[10] Ils sont devenus très nombreux à la suite de la Première Guerre mondiale. La défaite du bloc de la Triplice et la Révolution russe ont provoqué l'effondrement des trois empires européens (la Russie des Romanov, l'Allemagne des Hohenzollern, l'Autriche-Hongrie des Habsbourg). Ces démembrements ont engendré des flux de populations chassées et déplacées. La situation s'est aggravée avec la perte de nationalité imposée par le Reich nazi. L'apatride du camp de Lambesc est né à Jaroslaw, en Pologne, dans ce qui était la partie russe avant les traités de paix de 1919. Peut-être est-ce un Russe blanc[11] émigré ? A moins qu'il ne soit polonais ? Il n'y a pas encore de réponse à ces questions.
Quel est
l'âge des internés ?
Les
résultats obtenus sont :
Moins de 20 ans :
8 31-35 ans
: 71 Plus de 45 ans
: 62.
21-25
ans : 16 36-40 ans
: 88
26-30
ans : 43 41-45 ans
: 43
Les
plus nombreux sont les hommes dont l'âge est compris entre 30 et 45 ans (61%
des 331 internés), c'est-à-dire ces hommes chargés de famille, ayant un travail
et des responsabilités importantes au sein de la communauté. Les archives ne
manquent pas de lettres d'employeurs réclamant la libération de leurs employés,
comme ce négociant dont le rôle est de commercer avec les pays germanophones,
ou de lettres d'épouses ayant de jeunes enfants et réclamant la libération de
leur mari, à l'exemple de cette femme qui, n'ayant plus de quoi nourrir ses
enfants, refuse de les mettre à l'Assistance publique puisque son mari gagnait
suffisamment d'argent et qu' "il
n'est pas un criminel".
De quel milieu social viennent les internés ?
Le milieu social se lit au travers de la profession exercée par les internés. Malheureusement, celle-ci n'est mentionnée que pour cent quinze cas sur trois cent quarante-trois. Néanmoins, cela donne un échantillon relativement vaste des professions exercées. Je les ai regroupées en neuf catégories :
1) l'agriculture : 15 dont
14
agriculteurs et 1 ouvrier agricole.
2) l'industrie : 20 dont
6
mineurs, 3 mécaniciens, 3 ouvriers, 2 machinistes, 1 mouleur, 1 tourneur, 1 piqueur de fer, 2 employé de
l'industrie, 1 ingénieur automobile.
3) Le commerce et l'artisanat : 31 dont
7
commerçants, 2 boulangers, 2 serruriers, 2 représentants, 2 menuisiers, 1 fabricant,
1 exportateur, 1 directeur de banque, 1 exportateur en textile, 1 dirigeant de
société, 1 relieur, 1 boucher, 1 forgeron, 1 poseur de bois, 1antiquaire, 1
épicier, 1 cordonnier, 1 magasinier en grains, 1 employé de commerce, 1
tailleur, 1 meunier.
4) Le bâtiment : 6 dont
3
maçons, 2 peintres en bâtiment, 1 cimentier.
5) Le chemin de fer : 3 dont
1
employé, 1 chauffeur de locomotive, 1 chef de train.
6) L'enseignement : 3 dont
1
professeur de sport, 1 professeur d'allemand, 1 docteur en philosophie.
7) La restauration : 5 dont
3
cuisiniers, 1 cuisinier-restaurateur, 1 plongeur.
8) Autres : 27 dont
6
peintres, 2 chauffeurs, 1 laveur de vitre, 1 fonctionnaire, 1 chanteur, 1 musicien,
1 chef d'orchestre, 1 jardinier, 1 forestier, 1 comptable, 1 expert publiciste,
1 journaliste, 1 voyageur, 1 avocat, 1 marin, 1 batelier, 1 secrétaire
technique, 1 pédicure, 1 chimiste, 1 chantre de synagogue, 1 feuilletoniste.
-
la première est une réalité générale à l'ensemble de la population concentrationnaire
de la période. Seuls les hommes les plus aisés sont partis à l'étranger quand
les premières mesures ont été prises. Les moins fortunés sont restés, faute de
moyens pour partir ;
-
la seconde tient au fait que beaucoup ne pensaient pas être internés longtemps.
Les dossiers des archives montrent que leur intégration était réelle. Seuls
cinq internés sur cent onze sont enregistrés comme sans profession. Les cent
six autres ont des adresses professionnelles ou apparentées. Ces hommes ne
pensaient donc pas être hors-la-loi. Les mesures prises ne leur semblaient pas
être définitives. Du moins, au début.
En outre, j'ai relevé que soixante-dix-neuf hommes ont servi dans la légion étrangère aux côtés des Français. Trente-deux ont été médaillés : croix du combattant, croix de guerre, médaille coloniale, médaille du blessé, médaille de la Paix, médaille de Syrie. Certains s'étaient installés en France. Sur les quinze professionnels de l'agriculture internés à Lambesc, quatorze sont des ex-légionnaires. Beaucoup d'entre eux exercent des métiers pénibles : cimentier, maçon, mouleur, ouvrier, mécanicien, etc. D'autres exercent des professions appartenant au domaine dit intellectuel (publiciste, comptable, docteur en philosophie) ou au domaine artistique (peintre, musicien). Tous semblent bien intégrés à la vie de la communauté. Ils sont, pour la majorité, mariés et pères de famille. Ils habitent plutôt les régions de l'est : Alsace, Meuse. Quelques uns ont choisi le sud-ouest. Ils avaient demandé à intégrer la légion en septembre 1939. Ils ont dû la quitter du fait des mauvais traitements qui leur étaient infligés par les autres militaires. Eux aussi étaient assimilés à des nazis.
L'exemple d'Otto Stransky.
Otto Stransky est un ressortissant tchèque. Il est né le 31 août 1902 à Mohenelbe (ou Honehelbe), en Tchécoslovaquie. Il se trouve avec sa femme sur un bateau de commerce italien, l'Océania, à destination de l'Argentine quand il est arrêté. Cet expert en textile arrive à Marseille, puis est transféré à Lambesc le 17 ou le 18 avril 1940. Sur les fiches, il est recensé comme Allemand car, selon le consul tchèque, « il avait refusé la nationalité tchèque, il avait aussi refusé de s’engager dans l’armée tchèque et que pour toutes ces raisons, il ne s’opposait pas à son internement. »[14] Le 26 avril 1940, Otto Stransky est transféré au camp de Loriol, dans la Drôme. En juin, après la déclaration de guerre des Italiens à la France, il est interné au camp des Milles. Profitant d'une relative liberté, il s'enfuit et rejoint sa femme à Marseille. Là, il se cache pendant 3 semaines. Il apprend alors par des amis que les Tchèque ne sont plus soumis à l'internement et qu'ils doivent être libérés. Il se présente aux Milles. Le capitaine Goruchon le reçoit vertement et le met en rétension pour évasion. Il est finalement libéré deux jours plus tard. Nous sommes fin juin 1940. Après sa libération, Otto Stransky ne fait plus parler de lui.A-t-il finalement rejoint l'Argentine ? Nous ne le savons pas à ce jour.
Troisième
partie : Quelle est la vie au camp de Lambesc ?
Il s'agit bien là du seul point pour lequel les archives n'apportent quasiment rien. C'est le trou noir. Impossible de savoir officiellement comment se déroule la vie quotidienne des internés. Seules les entrées et sorties sont connues.
Pour
contourner la difficulté, je dois me reporter aux travaux d'historiens, en particulier
ceux d'André Fontaine[15],
travaux prenant en compte les témoignages des survivants des camps d'internés.
Me sont très utiles les dessins d'Henri Gowa, un peintre interné au camp de
Lambesc.
Certains
vont participer à l’effort de guerre. Ce sont tous des volontaires. Ils sont
cent sept à être partis comme prestataires : soixante-douze pour le dépôt
d'artillerie du Mans, six vers Angoulême, quatre vers Auriol, quatre vers le
dépôt d'infanterie 41 de Mayenne, trois vers Forcalquier, trois vers Montauban,
trois vers Libourne, trois vers Nîmes, deux vers Chambéry, deux vers Mirecourt,
un vers Aix, un vers Montluçon, un vers le Meslay s/ Maine. Il en reste deux
dont on ne connaît pas la caserne d'affectation finale.
Enfin,
un interné d'origine russe s'est évadé.
Quatrième partie : Que
sont devenus les internés ?
A partir de février 1940, des commissions de criblage tentent de remédier aux internements arbitraires entrepris en 1939. Beaucoup d’internés ont été libérés, parce que naturalisés, ou ayant un fils dans l'armée, ou s'étant engagés de leur plein gré à quitter le territoire français.
Après leur
passage à Lambesc.
Le
camp des Milles rouvre le 12 mai 1940. Cependant, le camp de Lambesc reste
ouvert encore quelques temps pour désengorger celui des Milles qui atteint vite
un effectif de trois mille cinq-cents internés. Je sais avec certitude que huit
des internés de Lambesc ont rejoint la tuilerie des Milles. Ils sont
certainement plus nombreux dans ce cas. Au moment de
l’offensive allemande, tous les ressortissants du Reich sont internés de
nouveau.
Le
22 juin 1940, le train fantôme emmène un certain nombre d'internés, dont une
partie de "Lambescains", vers Bayonne. De là, ils doivent rejoindre
le Maroc et la liberté. Ce sont des hommes menacés de mort s'ils tombent aux
mains des nazis. Le capitaine Goruchon les aide à fuir. Le train n'arrive pas à
destination et les internés sont réunis à Saint-Nicolas (près de Nimes).
Beaucoup se sont évadés pendant le transfert. D’autres s'évadent aussi pendant
leur séjour forcé dans ce camp de toile. En août, ceux qui restent réintègrent
le camp des Milles.
Sous
le gouvernement de Vichy, le camp des Milles devient un « camp de transit »
pour les étrangers indésirables qui souhaitent quitter le pays et ont obtenu
les papiers indispensables pour le faire. En août-septembre 1942, les juifs
étrangers raflés dans toute la région sont regroupés aux Milles, transférés à
Drancy, puis vers les camps d’extermination.
Je
sais que 29 des ex-internés présents à Lambesc ont été déportés à partir
de 1942 : 23 à Auschwitz, 4 à Maidanek et 2 sans destination claire. Quant aux
prestataires, nous savons que ceux identifiés comme israélites ont été remis
aux autorités allemandes et déportés aux camps de concentration de Mauthausen et de Dachau avec les légionnaires.
Concernant les autres israélites, un est parti à l'étranger en mai 1940, cinq
ont réintégré le camp des Milles. Je sais que trois internés ont été libérés en
1941, une a intégré une GTE (Groupement de Travailleurs Etrangers), un s'est
évadé en 1942. L'évadé de mai 1940 a été repris en juillet et incarcéré.
L'un
des internés, Egon Kodicek[19],
un Autrichien d'origine sans doute tchèque, a intégré les réseaux de résistance
de Lyon avec sa femme et son frère. Il a échappé de peu à la Gestapo. Son frère
a été arrêté, torturé et déporté à Buchenwald où il est mort.
L'un des internés passe
clandestinement en Suisse avec sa fiancée le 6 novembre 1942.
Trois
internés ont pu fuir clandestinement en Espagne entre 1942 et 1943. Il s'agit
d'un Allemand commerçant en jouet et de sa femme, et deux frères autrichiens.
Après la
guerre.
Je
sais que François Herzfelder, l'avocat présent au camp de Lambesc a survécu à
la guerre. Il avait, dans les années 1960, un cabinet à Paris et défendait les
intérêts des internés, des déportés, et de leurs familles.
La plupart des peintres ont survécu à la guerre. Ils ont peint ce qu'ils ont enduré. Ils l'ont parfois raconté ou écrit.
Conclusion :
Quelle mémoire Lambesc a gardé de ces hommes ?
La question de la mémoire est un sujet sensible. A première vue, les internés qui ont vécu à Lambesc entre avril et juin 1940 n'ont pas laissé de souvenir impérissable, bien au contraire. Lambesc a effacé ce triste épisode de sa mémoire collective. Plusieurs centaines d’hommes disparus, effacés comme on éloigne une mauvaise pensée d'un revers de main. Pourtant ils étaient là, plusieurs centaines de détenus dont certains parlaient peu ou mal notre langue. Ils ont vécu et témoigné de leur passage dans le village. Autant de destins réunis ici.
Nous devons sortir cet épisode oublié de notre mémoire en nous appuyant sur des faits établis grâce aux archives. Nous devons accepter ce passé même s'il ne semble pas très reluisant. Nous devons accepter la présence de ce camp de ressortissants étrangers imposé à Lambesc par l'administration de la République française. Nous devons aussi faire en sorte que les jeunes générations connaissent cette réalité.
_______________________________________
Pour aller
plus loin.
Sources
Dossiers
archives départementales des Bouches-du-Rhône (cote 142
W).
Claire LUTRIN-LE PORS
Les Perrières
13410 LAMBESC.
Lambesc
1940 : La mémoire oubliée.
Lambesc,
OCTOBRE 2010.
[1] Lion FEUCHTWANGER, Le Diable en France, Paris, ed. Belfond, 2009.
[2] Anne GRYNBERG, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, Paris, La Découverte, 1991, p. 28.
[3] Anne GRYNBERG, op. cit.
[4] Ce transfert est cité dans le journal de Marche du 157e RR (« Stationnement du 4e bataillon : A dater du 18 avril le camp des étrangers est transféré d’Aix les Milles à Lambesc »). Service historique des Armées, Vincennes.
[5] Doris OBERSCHNERNITZKI, Letzte Hoffnung-Ausreise. Die Ziegelei von Les Milles 1939-1942. Vom Lager für unerwünschte Ausländer zum Deportations zentrum, ed. Hentrich &Hentrich, Teetz 1999.
[6] La conserverie s'appellera plus tard Beaudoux.
[7] Elle est aujourd'hui en partie détruite et transformée en logements résidentiels et parking.
[8] Cf. André FONTAINE, Le camp d'étrangers des Milles, 1933-1944, Aix en Provence, Édisud, 1989, p.19.
[9] Dans ces cahiers, Elie Roussier donne un chiffre de quatre cents internés (voir Musée des Amis du Vieux Lambesc).
[10] cf. Encyclopédie Quillet.
[11] Les Russes blancs sont des Russes partisans du tsar et de sa famille. Ils ont fui en masse lors de la Révolution russe et des années suivantes. Les Russes blancs n'étaient pas uniquement des nobles. Beaucoup de non-nobles se sont engagés dans la légion étrangère à la suite de leur fuite.
[12] A la fin du XVIIIe siècle, la Pologne a été partagée entre la Prusse,
l'Autriche et la Russie au cours de trois traités. L'Autriche et la Russie se
sont attribuées les trois quarts du territoire polonais.
[13] Des sympathisants nazis ont été internés aux Milles. Il n' y a aucun document prouvant qu'ils soient passés par Lambesc. En effet, en juillet 1940, le capitaine Goruchon a préféré brûler les archives des premiers mois du camp de peur qu'elles ne tombent aux mains des Allemands.
[14] Cf Doris OBERSCHNERNITZKI,
op. Cit., p. 153.
[15] Voir bibliographie.
[16] Cette lettre n'a pas été retrouvée dans les archives. Je ne peux donc en détailler le contenu.
[17] André FONTAINE rapporte qu'il s'agit de rations militaires : "On peut le conserver des mois sans qu'il soit dur, il est pâteux et insipide, très lourd à digérer". (Le camp d'étrangers... op. cit, p. 29). De plus, cette liste comprend la nourriture destinée aux prisonniers et celle destinée à l'encadrement. Les menus n'étaient pas de qualité équivalente pour les uns et pour les autres.
[18] Le camp a sa propre poste.
[19] Il est le n°141 dans le tableau des internés.
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