25 mai 2008

Poèmes de Charlotte Delbo

 

 Ô vous qui savez 

Ô vous qui savez

 Saviez-vous que les pierres du chemin

 ne pleurent pas

 qu’il n’y a qu’un mot pour l’épouvante

 qu’un mot pour l’angoisse ?

 Saviez-vous que la souffrance

 n’a pas de limite

 l’horreur de frontière ?

Le saviez-vous ?

Vous qui savez. »

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Aucun de nous ne reviendra

 

Vous qui avez pleuré deux milles ans


un qui a agonisé trois jours et trois nuits

 

quelles larmes aurez-vous


pour ceux qui ont agonisé


beaucoup plus que trois cents nuits

 

et beaucoup plus que trois cents journées


combien pleurerez-vous


ceux-là qui ont agonisé tant d’agonies


et ils étaient innombrables

 

Ils ne croyaient pas à la résurrection dans l’éternité


Et ils savaient que vous ne pleuriez pas.


_______________________________

 

Prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants


Vous qui passez

bien habillés de tous vos muscles

un vêtement qui vous va bien

qui vous va mal

qui vous va à peu près

vous qui passez

animés d’une vie tumultueuse aux artères

et bien collée au squelette

d’un pas alerte sportif lourdaud

rieurs renfrognés, vous êtes beaux

si quelconques

si quelconquement tout le monde

tellement beaux d’être quelconques

diversement

avec cette vie qui vous empêche

de sentir votre buste qui suit la jambe

votre main au chapeau

votre main sur le cœur

la rotule qui roule doucement au genou

comment vous pardonner d’être vivants…

_________________________________________

Je reviens

d’au-delà de la connaissance
il faut maintenant désapprendre
je vois bien qu’autrement
je ne pourrais plus vivre.

Et puis
mieux vaut ne pas y croire
à ces histoires
de revenants
plus jamais vous ne dormirez
si jamais vous les croyez
ces spectres revenants
ces revenants
qui reviennent
sans pouvoir même expliquer comment.


Charlotte Delbo

 

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